Commentaire
le déploiement de la vérité..." : en assignant cette mission à l'art, par épigraphe de Hegel interposée, Adorno ne situait pas seulement la musique hors la sphère de l'industrie culturelle banale, mais visait sans doute aussi le type de discours qu'on peut porter sur elle : face à l'invasion des biographies romancées, des- vulgarisations douteuses et du colportage promotionnel, qui forment la majeure partie de la littérature musicale d'aujourd'hui, voici un livre qui vise la réalité musicile dans ce qu'elle a de plus essentiel : le parti de composition. Les deux études sur Schônberg et sur Stravinsky, qui sous le "chapeau" commun d'une Introduction ultra-brillante où se résume toute la pensée d'Adcrno, constituent la Philosophie de la nouvelle musique, proposent de jauger celle-ci à partir de deux expériences antithétiques, deux types de compor¬tements musicaux traités en forme de paradigmes. Chez l'un, la musique nous interpelle au plus crucial : et les dissonances nous effraient, qui nous parlent de notre propre condition. Chez l'autre, un mythe originel voudrait nous rassurer et permettre l'«accès à la région d'un être absolument "authentique"». Schônberg contre Stravinsky ; le progrès contre la réaction. Livre fascinant, prophétique hier, et aujourd'hui assimilé, plein de finesse et de parti pris, de rigueur et d'injustesses. Les intuitions sont fulgurantes, sur Mahler, sur Berg, sur Wagner. L'étendue de la culture y égale la force de la sensibilité. D'un mot, tel phénomène est défini «en situation»: ainsi des ép/ces dont Adorno crédite la musique de Stravinsky. Livre à lire lentement, à poser, à reprendre, à relire, à ruminer, sans lequel la musique de notre siècle demeure maquis indéchiffrable : bref, une permanente provocation à l'intelligence du lecteur mélomane.