Commentaire
En cette fin de siècle et tandis que de jour en jour se rétrécit notre planète, s'il est une réussite avérée parmi les possibles rencontres de « la civilisation de l'universel » chère à Senghor, c'est bien la musique euro-africaine. Certes, toqués que nous sommes depuis beau temps de jazz, férus de gospel, nous sentons tous que, plus vigou¬reusement peut-être que d'autres musiques nègres ayant pris souche plus au sud, celle des noirs nord-américains a servi de truchement au dialogue d'Europe et d'Afrique. Mais combien sommes-nous encore à prendre conscience claire de la culture néo-africaine la plus septentrionale, celle précisément qui dans le temps précède, enfante et accompagne le jazz, nourrit le gospel ? Bien peu en somme, faut-il croire.
A cette lacune le présent essai souhaite apporter quelque remède. Si l'auteur se réserve d'étudier ailleurs le propre du conte néo-africain (du nord au sud), voici déjà exposée pour nous la part la meilleure du folklore nègre venu du nord. Et en effet, qu'il traite du Negro spiritual, auquel il rend son nom premier de « chant spirituel »; du Negro sermon, aussi appelé « sermon spirituel », de la fusion de ces deux-là en « chant-sermon » ; qu'il examine le chant de travail et la ballade nègres, explore le blues ou les poèmes pornographiques des ghettos, Guy-Claude Balmir, dans son cheminement Du chant au poème, ne se borne guère à compiler un simple répertoire. Il y voit volontiers des genres à part entière, s'interroge sur leurs origines, leur devenir, leurs traditions, et découvre, surtout en leurs thèmes et structures, le sens profond de la culture afro- américaine de transmission orale.
Mais combien de plumes y a laissées l'Afrique ? Quelle part en revient à l'Europe ? Quoi de commun du reste entre la violence de la ballade et le vague-à-l'âme du blues ? Le chant collectif des forçats, qu'a-t-il à voir avec la transe du sermon participatif ? Et puis, quel rapport entre les pieux spirituals et la pornographie des ghettos ? Jugez plutôt.