Commentaire
Le jazz n'est pas le domaine le plus prompt à fabriquer des idoles et rares sont les jazzmen à atteindre, même après leur mort, une notoriété dépassant le simple cercle des amateurs du genre. Eric Dolphy n'est pas de ceux-là. Bien sûr, il est des musiciens plus oubliés que lui, mais plus disposés, aussi - certains l'ayant même mérité -, à souffrir de l'oubli. Alors, de quoi aura manqué Dolphy pour venir grossir la liste courte des jazzmen élevés au rang de sommité ? Les biographies ramassées que lui consacrent aujourd'hui anthologies et dictionnaires permettent de déceler quelques éléments de réponse. Ici et là, on lit pourtant les mêmes informations, en substance: « Eric Dolphy (1928-1964), musicien de jazz américain, multi-instrumentiste (saxo¬phone alto, clarinette, clarinette basse, flûte), partenaire de Charles Mingus, John Coltrane, Omette Coleman, auprès desquels il déploya un jeu baroque tiré du be bop et annonciateur du free jazz. Il meurt à Berlin, à l'âge de trente-six ans, des suites d'un diabète non diagnostiqué. » Ainsi, la carrière est fulgurante, le discours original, et la mort est belle. Trois facteurs qui plaident en faveur d'un statut de légende, mais trois facteurs insuffisants au vu des effets dévastateurs d'une autre de ses caractéristiques: l'indépendance. Comme peu, Dolphy aura en effet développé un discours assez particulier pour ne pas survivre à son auteur, ne pas permettre à d'autres de bâtir sur ses restes une école du geste ou un courant de pensée. Et l'originalité poussée au-delà des limites généralement acceptables aura vite fait d'obscurcir une pratique rare de plus.